TINTIN ET MILOU

Tintin est l'oeuvre d'un homme, dessinateur et scénariste, qui a influencé toute la bande dessinée du XX° siècle : le belge Georges Rémi, né en 1907 à Bruxelles. L'enfant témoigne très jeune d'un don réel pour le dessin, même si son père exerce une activité sans grand lien dans cet art : employé de confection. Les parents du petit Georges, bien que sans attache religieuse particulière, vont le confier à un collège religieux et à la Fédération des scouts catholiques de Belgique. A l'évidence, cette formation forgera la fibre humaniste du père de Tintin, qu'on retrouvera dans nombre des aventures du héros

A 18 ans, Georges Rémi entre comme employé aux abonnements du journal "le Vingtième Siècle", de ligne politique nettement marquée à droite, et dirigé par l'abbé Wallez. Cette petite porte lui donne très rapidement accès à l'illustration de diverses rubriques du journal. Au même moment, sous la signature d'Hergé, ses initiales inversées (R.G.), il publie dans le "Boy-scout" une première série : "Totor, C.P. (chef de patrouille) des Hannetons". Le dessin est plutot sommaire et le texte figure sous l'image comme dans la quasi-totalité des bandes déssinées européennnes de l'époque, lesquelles ignorent le phylactère (la "bulle" par laquelle s'exprime les personnages).Séduit par le talent de son jeune employé, l'abbé Wallez décide en 1928 de lui confier, à 21 ans, la rédaction en chef du supplément hebdomadaire jeunesse du Vingtième Siècle, "le Petit Vingtième". Influencé par Alain Saint Ogan qui vient de paraître en France "Zig et Puce", avec usage systématique des bulles, Hergé conçoit dès janvier 1929 les aventures de Tintin, reporter au Petit Vingtième, Au Pays des Soviets.

TINTIN



Adolescent sans famille connue, il exerce la profession de reporter. En fait, il est autant aventurier que détective. Bien qu'il soit disponible, Tintin ne recherche jamais l'aventure : elle se présente toujours à lui comme par hasard. Courageux, il n'hésite jamais à affronter les forces du mal, tout en défendant les faibles, les minorités et les opprimés. Ingénieux, raisonnable et raisonneur, il est, par sa modestie et son sens du concret, tout le contraire d'un super-héros.
Il est très probablement le personnage le plus étrange de toute l'histoire de la bande dessinée. A l'encontre de la plupart des héros, il ne se caractérise en effet par aucun trait particulièrement remarquable. Certes, il est intelligent, astucieux, rapide et quasiment invincible. Mais en fait, c'est par son irréalité presque totale qu'il frappe dès lors qu'on prend la peine de l'examiner de plus près. Une irréalité qui fait de lui, bien davantage qu'un antihéros, une sorte de pure abstraction. Que l'on écoute son nom d'abord : ce nom, qui en français signifie rien du tout, se signale immédiatement par son redoublement de syllabes. Comme si ce patronyme qui n'en est pas un (s'agit-il en effet d'un nom de famille, d'un prénom ou d'un simple surnom ?) ne pouvait se prolonger que pour déjà se répéter, que pour, instantanément, s'annuler. Que l'on observe son visage ensuite : cette face ronde ou bouche et yeux ne sont que des points, cette tête que fort peu de situations réussissent à animer et que l'accent de la célèbre houppe parvient seul a particulariser. Que l'on se penche enfin sur la profession du personnage, cette profession que d'ailleurs, sauf dans le premier album, on ne le verra jamais exercer. Tintin est reporter, mais qu'est-ce qu'un reporter sinon un relais, un reflet, un pur médiateur que porte d'un point à un autre des informations dont il n'est que provisoirement le détenteur? Il faut le conclure: Tintin n'est rien. Il n'a pas d'âge véritable : tantôt Il semble être encore un enfant. d'autres fois on croit voir en lui un adolescent, la plupart du temps ses comportements évoquent ceux d'un adulte. Il ne paraît pas sexué non plus: nulle petite amie, nul projet de mariage ne viendront jamais contrarier le cours de ses aventures. Au sens strict, on pourrait même dire qu'il n'a pas de caractère; Il n'est rien en lui qui permette de dire qu'il est ceci plutôt que cela, comme ci plutôt que comme ça. On pourrait considérer cette vacuité du personnage principal comme une faiblesse. Ce serait mal comprendre la cohérence profonde de l'univers d'Hergé. Et pour ma part je serais plutôt tenté de dire que cette neutralité de son héros est l'un des atouts majeurs de la série. Personnage vide, Tintin a pu se transformer sans qu'on ait l'impression d'aucune contradiction. Reflet, il évolue en même temps que ce dont il se fait le miroir ; il était colonialiste en 1930 ; il pourra prendre le parti des guérilleros en 1975 sans avoir rien renié de ce qu'il est. Personnage neutre, Tintin remplit à merveille le rôle essentiel du héros d'une série: celui d'être un parfait support a l'identification du lecteur. Tintin est celui grâce auquel chacun, jeune ou vieux, garçon ou fille, Français ou Japonais, peut s'imaginer vivre les extraordinaires aventures que relatent les albums d'Hergé. Autour de ce personnage neutre et vide, Hergé pourra ajouter, au fil des ans, de nombreuses figures hautes en couleur, largement typées pour leur part. Ainsi la série pourra-t-elle s'enrichir, gagner en variété et en intensité, tout en conservant, grâce à Tintin, cette part de transparence qui garantit, mieux que toute autre chose, la parfaite lisibilité.

LE CAPITAINE HADDOCK



Ex-officier de la marine marchande, il a fini par préférer la vie de château. A son jeune ami Tintin il reproche souvent son goût pour l'aventure, mais il le suit partout, généralement contre son gré. Si Tintin a pour lui la raison, Haddock apparaît comme le tenant du sentiment : il est maladroit, malchanceux dans l'action, impulsif, généreux, colérique, et excessif dans ses paroles. Son penchant pour le whisky est notoire, tout comme sont célèbres ses injures (Le dictionnaire du Capitaine) : des mots cocasses, dépourvus de la moindre grossièreté, et dont seule la sonorité est agressive. Il joue le rôle de figure paternelle pour Tintin.Ce n'est qu'avec L'Etoile mystérieuse qu'Haddock devient un véritable personnage des Aventures de Tintin. Dans Le Crabe aux pinces d'or, il n'était encore qu'un comparse, dont rien ne garantissait qu'il reviendrait un jour. Dés lors qu'il s'installe dans la série pourtant, Haddock va y prendre une place considérable, allant presque jusqu'à éclipser Tintin lui-même. Il faut dire que le capitaine a une stature hors du commun qui fait de lui, probablement, le plus étonnant de tous les héros qui peuplent le monde de la bande dessinée. Ce personnage, dont Hergé déclara parfois qu'il lui a été inspiré par Edgar Pierre Jacobs (mais le capitaine fut crée alors que les deux hommes ne se connaissaient pas encore), est en effet d'une richesse de traits que l'on ne peut comparer qu'à celle des plus grandes figures romanesques. Jovial et bourru à la fois, puissant et plein d'entrain, bon vivant et fort en gueule, le capitaine est de ceux que l'on n'oublie plus dès lors qu'on les a rencontrés. Ce serait par contre une erreur de croire que cette force de la nature a un goût immodéré pour l'aventure et les voyages. Il y a chez Haddock - surtout après son installation à Moulinsart - une vocation de gentleman-farmer perpétuellement contrariée. Un whisky et une bonne pipe au coin du feu, après une promenade au grand air, semblent représenter son idéal de vie le plus profond. Le goût du capitaine pour l'alcool est quasiment légendaire. Deux périodes doivent pourtant être distinguées de ce point de vue: avant qu'il ne rencontre Tintin, Haddock n'était rien d'autre qu'un pitoyable ivrogne, une épave roulée par son lieutenant; après sa providentielle rencontre avec le reporter, les choses changent du tout au tout et, même s'il arrive au capitaine de ne pas être tout à fait à la hauteur de son titre de Président de la Ligue des Marins Antialcooliques, son attrait pour la boisson n'est plus qu'un aimable penchant. Graphiquement, Haddock est un personnage plus complexe que Tintin. étant de ceux dont les sentiments se peignent immédiatement sur le visage, il est dote d'un faciès incessamment mobile et l'extraordinaire richesse de ses mimiques assure à elle seule l'intérêt de nombreuses séquences. Mais c'est au premier chef le langage du capitaine qui l'a rendu célèbre, et surtout ses inoubliables apostrophes qu'il lance, généralement par bordées, aussitôt que l'occasion s'en présente. Pol Vandromme, dans son livre déjà ancien sur Le Monde de Tintin (1), en avait dénombré 169. Numa Sadoul, quant a lui, en recensa 48 supplémentaires. C'est donc plus de deux cents injures inattendues que nous livra le bouillant capitaine...